ART, LITTERATURE ET ENGAGEMENT – Réfléchir sur les interactions entre art, littérature et politique

Sens et responsabilité #1 – intervenants :
Paul ARDENNE, Khalid BENGHRIB, Rachid KHALESS et Driss KSIKES

Mercredi 25 septembre 2019, 20h

Modération : Mohamed RACHDI

Beaucoup pensent que l’artiste et l’écrivain politiquement engagés par leur création appartiennent à une autre époque…

Qu’aujourd’hui, le seul engagement qu’ils puissent avoir ne saurait s’opérer que dans leur propre activité créatrice, laquelle se doit, pour s’épanouir véritablement, de rester hors champ politique avec lequel elle se dissocie clairement. Autrement dit, les créateurs ne doivent s’engager qu’exclusivement dans leur pratique artistique et littéraire, et s’ils veulent faire de la politique, alors ils n’ont qu’à agir loin de leur activité créatrice en s’engageant clairement dans le champ socio-politique.

Cette dissociation de l’engagement artistique et littéraire de l’engagement politique est-elle la seule voie ou n’y aurait-il pas d’autres modalités d’interaction entre engagement artistique et littéraire et l’engagement politique ? L’engagement artistique et littéraire ne peut-il pas faire pleinement œuvre politique ? Inversement, l’engagement politique ou l’action citoyenne ne peut-il pas faire en tant que tel oeuvre artistique ou littéraire ?

C’est autour de ces questions que nos invités sont appelés à réfléchir.

Paul Ardenne 

est écrivain, historien de l’art et commissaire d’exposition. Il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la création et à la culture d’aujourd’hui. Citons parmi ceux-ci Art, l’âge contemporain (1997), L’Image Corps (2001), Un Art contextuel (2002), Extrême (2006), Art, le présent (2009), Heureux, les créateurs ? (2016), Un Art écologique (2018)…

Il double cette activité académique et théorique d’une création romanesque soutenue : La Halte (2006), Nouvel Âge (2007), Sans Visage (2014), Comment je suis oiseau (2015), Belly le Ventre (2017), Roger-pris-dans-la-Terre (2018). Ses thèmes de prédilection sont la question de l’adaptation de l’humain à ses milieux, entre tentative de fusion et obstination à la divergence.

Paul Ardenne
Même le dégagement est un engagement.

L’objet de ce bref point de vue sera d’établir le rapport non forcément en tension entre la création, qui isole en tendance le sujet du corps social, et l’engagement politique, qui voit ce même sujet jeté dans la fosse aux lions de l’action politique. Faut-il être, écrivain, plasticien, cinéaste, dramaturge, poète, bédéiste…, engagé, selon le précepte énoncé par Jean-Paul en 1947 (Qu’est-ce que la littérature?) ? Faut-il au contraire, dans une perspective suivie par maints autres créateurs (Henri Michaux, Balthus, Werner Herzog…) se vouer à la quête prioritaire de sa propre singularité et, ce faisant, quitter la table de la pensée publique ? Voire, en oubliant ce schéma mental où le principe de l’alternative est incontestablement trop simpliste, n’est-il pas plus opportun de s’engager pour se dégager et, dans le même temps, de se dégager pour s’engager ?

Rachid Khaless

est agrégé de lettres françaises. Il enseigne à l’université Mohamed V de Rabat. Il est poète, romancier et traducteur.
Connu d’abord comme poète, il signe deux recueils de poésie chez L’Harmattan : Cantiques du désert (2004) et Dissidences (2009). Son 3ème recueil Dans le désir de durer paraît en 2014 à la Maison de la poésie au Maroc. Guerre totale (suivi de) Vols, l’éclat paraît en 2017 à Virgule Editions.
Romancier, Khaless publie, coup sur coup, Pour qu’Allah aime Lou Lou aux Editions Marsam, et Quand Adam a décidé de vivre à La Croisée des chemins en 2015. Absolut hob, sa 3ème fiction, a paru à Virgule Editions en 2016.
Rachid Khaless a traduit notamment les textes du poète Hassan Najmi, Un Mal comme l’amour, (La Croisée des chemins, 2016), d’Yves Bonnefoy, Que ce monde demeure (Maison de la poésie au Maroc, 2014) et de Saâdi Youssef, Poèmes de Tanger, (Virgule Editions 2016.)

Rachid Khaless
L’engagement en littérature : paradoxes et résurgence

Il s’agit d’examiner les paradoxes liés à l’engagement en littérature, particulièrement la production littéraire marocaine. Le but est de cerner ses statuts, esthétique et social. La conscience de son art et du monde sera au cœur de l’interrogation générale sur la responsabilité du créateur.

Comment apprécier alors le discours qu’il tient autour de son œuvre ? Quel rôle assigne-t-il à la culture et quelle vision du monde met-il en scène dans cette production de l’imaginaire ? A rebours cette dimension éthique, ne doit-on pas considérer l’œuvre de création de façon autonome ? L’œuvre a-t-elle les moyens de son ambition pour acquérir sa pleine résonance dans l’arène sociale ? Quel renouveau dans les formes d’engagement ? Ce sont quelques questions qui seront posées dans cette contribution.

Khalid Benghrib

Natif de Casablanca, Khalid Benghrib fonde en 2003 avec Loren Palmer la compagnie 2k.far et oriente ses recherches vers le Maroc et ses archétypes sociologiques et politiques en danse, cinéma, installation et poésie, prétexte à interrogation sur différents codes et processus de composition. Il s’intéresse particulièrement à la culture gnawa, hmadcha, sources de différentes études et œuvres chorégraphiques et musicales.

Khalid Benghrib
La merveilleuse dérive

Il convient d’observe l’élan vital de la culture contemporaine et l’emploi dans l’ensemble des arts, des lettres et des techniques concourant à la construction intégrale d’un milieu social en liaison dynamique avec des expériences extraordinaires en intégrant des productions actuelles ou passées des arts dans une construction supérieure ou inférieure. Dans ce sens il ne peut y avoir une culture de référence, mais de contre-cultures émergentes. Dans un sens plus primitif, dû au détournement à l’intérieur des sphères culturelles anciennes comme méthode de propagande, qui témoigne de l’usure et de la perte d’importance de ces sphères avec des passages de quelques dangers à travers une assez courte unité de temps fournis, une identité contemporaine est possible.

Va-t-elle durer dans le temps ? Va t’elle exister à sa juste appréciation ? Je n’en sais rien…

Le fait est de participer à cette merveilleuse dérive considérée, me semble-t-il, comme un acte politique citoyen en soi par l’acquisition du savoir, au fait d’apprendre. APPRENDRE n’est que l’intermédiaire entre non-savoir et savoir, le passage vivant de l’un à l’autre. C’est sur « l’APPRENDRE  » et non sur le SAVOIR, que les conditions transcendantales de la pensée doivent être prélevées. La pensée n’est pas innée, il faut qu’une force la fasse surgir en nous.

Driss Ksikes

Né le 7 mars 1968 à Casablanca, Driss Ksikes est écrivain, chercheur en médias et culture et directeur d’Economia, centre de recherche de HEM. Professeur de méthodologie, il anime plusieurs ateliers d’écriture et contribue à plusieurs revues littéraires et critiques internationales. Ecrivain de théâtre et dramaturge, il est également auteur de quelques récits et essais. Ses deux dernières publications littéraires comportent, au théâtre, Le Match (Ed. Presses universitaires de Bordeaux, 2017) et en fiction, Au détroit d’Averroès (Ed. Le Fennec, Casablanca 2017 et Fayard, Paris 2019).

Driss Ksikes
Prendre soin du monde en le recréant

Peut-on être écrivain ou artiste, être très attentif à l’esthétique de ce que l’on donne à voir ou à lire, et garder un intérêt conscient pour les déséquilibres qui nous entourent ? Comment garder un regard juste sans ignorer les contextes injustes où l’on essaie de créer ? Comment travailler à partir de l’inconnu, du doute, de l’incertitude permanente, tout en portant des convictions et des opinions ? Comment préserver les deux logiques et les deux désirs ?
Je m’intéresse dans cette communication, non à des artistes célèbres pour leur engagement politique et dont l’œuvre a souvent pâti, mais à des funambules, fragiles, qui s’immiscent dans les territoires des écarts, pour inventer leur langage, dire, par le détour, leur conscience, marquer les esprits, et réussir, dans l’intervalle, discrètement à laisser des traces qui ne sauraient laisser indifférents. Il n’y a pas de formules. Il n’y a que des cheminements. J’en suivrai quelques-uns pour en tirer de possibles enseignements.