Situation tracée – Aïda Patricia SCHWEITZER

Résidences

23 mars – 12 avril 2020 (REPORTÉE en raison du covid 19)

Résidence qui sera accompagnée par Julie Crenn  (historienne de l’art et commissaire d’exposition indépendante) sur invitation de Mohamed Rachdi (directeur de H2/61.26)

Cette résidence bénéficie du soutien de Fonds Culturel National Luxembourg, Le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg (Ministère de la Culture).

Aïda Patricia Schweitzer

« Autodidacte, Aïda Patricia Schweitzer (née en 1968) vit et travaille entre le Luxembourg et la Belgique. Elle développe depuis les années 2000 une pratique transdisciplinaire où son corps constitue la matrice centrale de sa réflexion plastique. Du dessin à la peinture, en passant par l’installation, la broderie et la performance, l’artiste s’empare d’une pluralité de médiums à des fins à la fois critique et poétique. Avec l’ambition de bousculer des codes, des formes et les matériaux, elle tend à déplacer les points de vue sur l’Histoire, les identités, les inégalités et les rapports de dominations qui existent par-delà les époques et les cultures. »

Extrait d’une présentation de Julie Crenn

 

 

À l’occasion de sa résidence au H2/61.26 à Casablanca, Aïda Patricia Schweitzer travaille à une reconnexion avec son histoire intime. D’origines égyptienne, chaouie et française, l’artiste souhaite explorer une identité plurielle par le biais du voyage et du nomadisme en particulier.

Très jeune, elle part en Égypte en quête de traces de son histoire. Elle rencontre sa grand-mère. Plus tard, elle poursuit les voyages et se rend au Maroc. Elle débute un séjour dans le désert, où elle fait la connaissance de Bédouin.e.s avec qui elle décide de rester un temps. Dans cette expérience de type introspective, elle découvre un mode de vie, des codes, une langue, une solidarité, un rapport au territoire. Au fil du temps, à la manière d’un patchwork, elle pense des liens entre ses origines et les rencontres. Les Chaouis, Berbères d’Algérie, sont un peuple nomade dont les objets, les pratiques et les symboles seront intégrés à d’autres éléments issus d’une histoire personnelle. Le personnel rencontre inévitablement le collectif. Le voyage physique et mémoriel entre l’Europe et l’Afrique du Nord constitue le point de départ d’une réflexion portée sur une histoire collective partagée, ainsi qu’une histoire personnelle dont l’écriture est en cours.

Le corps de l’artiste et le désert, envisagé tant comme un corps qu’un territoire, trouvent une place centrale au creux d’une recherche basée sur la mobilité, le mouvement, le nomadisme et la reconstruction. L’artiste mixe des symboles et des pratiques issus de différents héritages, de différentes cultures et histoires pour en faire ce qu’elle nomme un patchwork visuel, matériel et symbolique. L’installation, formée de matériaux à la fois artisanaux (céramique, henné, pyrogravure, broderie, papyrus) et industriels (palette, traces de pneu, wax) engage une pensée de la lutte, de la résistance et du dilemme. Une pensée située dans un entre-deux, une zone à la fois réjouissante, parce que nourrie d’apports culturels multiples, mais aussi une zone de conflits permanents vis-à-vis d’une histoire aux ramifications nombreuses. Au centre de l’installation, un sac de frappe entaillé à différents endroits se vide de son contenu. Le sable s’écoule et recouvre lentement le dessin d’une boussole tracé au sol. L’artiste traite ainsi du voyage, mais aussi des repères, de la rencontre et de la perte. Une violence s’établit dans l’interaction des éléments et des symboles. En ce sens, les coussins réalisés à partir de Dutch wax renvoient à l’histoire coloniale et à la question de l’authenticité culturelle (cette prétendue authenticité réclamée par les Occidentaux aux artistes racisé.e.s), ici mise à mal par des tissus devenus les symboles dichotomiques du colonialisme et du panafricanisme. L’artiste brode, tatoue et grave également des Adinkra, des symboles graphiques créés par les Akans et les Baoulés en Afrique de l’Ouest. Aïda Patricia fait ainsi apparaître les symboles de la persévérance, de la lutte ou de la féminité. Par eux, elle nous livre le récit fragmenté de son histoire dont elle rassemble les morceaux.

Situation tracée #1 fonctionne comme un rébus où sont articulés des codes, des symboles, des secrets, les éléments d’un langage crypté qui traduit une difficulté : celle de retranscrire et de donner forme à son histoire personnelle. L’œuvre est un autoportrait dont chacune des dimensions rejoint le corps central, le sac de frappe suspendu, percé et se vidant de son contenu. Un corps blessé. La réflexion plastique d’Aïda Patricia Schweitzer repose alors sur l’analyse, la mise en dialogue et le déplacement de symboles intimes et culturels. L’œuvre forme la synthèse d’une recherche interculturelle visant à une guérison, une réparation. À partir d’un corps, d’une histoire, Aida Patricia Schweitzer sculpte et brode de nouvelles trajectoires, des perspectives croisées, de violences sourdes, d’une mémoire commune.

Julie Crenn, février 2020