Samedi 23 novembre 2019 à partir de 18h30

Il s’agit d’une tentative de mise au vert pour la ville blanche, celle que l’on adore ou que l’on déteste pour les mêmes raisons ; celle qui souffre d’un mal chronique : l’absence de végétation dans l’espace urbain. 1,2 m2 par habitant à Casablanca quand la norme internationale préconise 10 à 12 m2 comme seuil minimal !

Et si la ville blanche devenait la ville verte, non pas en repeignant les façades des grands immeubles art déco qui ont fait sa réputation, mais en invitant la nature à y reprendre ses droits. Et si Casablanca était la ville d’après l’effondrement, celle qui aurait survécu à la 6ème extinction.

L’Institut français, l’École Supérieure des Beaux-Arts de Casablanca et H2/61.26 – trois institutions culturelles situées autour du plus grand espace vert de la ville, le Parc de la Ligue arabe – proposent à une nouvelle génération d’artistes de nous donner leur vision de ces utopies.

Six artistes ont répondu à l’invitation et après trois semaines de résidence, nous livrent ici leurs propositions à découvrir sur 3 sites.

Projet réalisé en partenariat avec air de Midi, réseau art contemporain en Occitanie.

Textes de Martine Michard et Manuel Pomar.

Youssef Ouchra

Né en 1984. Vit et travaille à Casablanca.

D’un vers vers l’envers vert

Photographies et sculpture, 2019

Pour Casaverde, Youssef Ouchra crée une série d’images photographiques performatives et une sculpture.

La surface d’espaces verts dans la ville s’est encore amoindrie. À Casablanca, elle est aujourd’hui de 40 fois moins que les normes internationales, soit 0,35 m2 par habitant.

L’artiste repère dans les interstices de la ville des espaces ensauvagés : là où poussent des plantes, dans les fentes entre béton et macadam. Une dalle arrachée d’un trottoir lui servira d’étalon. Il fabrique en regard un bloc de béton armé qu’il porte comme un casque, un poids, un toit et une fore de résistance.

Youssef Ouchra promène cette prothèse de 15 kg à travers la ville dans chacune des directions cardinales, comme un manifeste. Avec cet harnachement, il se fond dans les chantiers de construction, les bords de routes et de voies ferrées. Ces espaces gris lui servent de refuges inhospitaliers le temps d’une image.

À l’est, se lève le soleil. Youssef Ouchra y trouve l’usine bardée de vert, emblème du greenwashing, camouflage industriel dans le paysage. Là s’arrête sa quête pour Casaverde.

L’objet façonné qui a été porté – comme on peut dire d’un masque qu’il a été dansé – devient sculpture. À sa surface, l’artiste a représenté la carte de Casablanca où flottent quelques taches vertes, celles des espaces de respiration en question.

Jimmy Richer

Né en 1989. Vit et travaille à Montpellier.

Casa

Œuvres sur papier, dessin mural, film d’animation, 2019

L’univers de Jimmy Richer est en expansion permanente. Il donne naissance à des galaxies constituées d’images multiples qui empruntent à diverses sources iconographiques.

Dans sa volonté d’érudition, il mixe les codes du cinéma de genre et le style des gravures scientifiques du XVIIIème, télescope l’iconographie paradoxale des ouvrages ésotériques et les références de l’histoire de ‘art. Son dessin procède par absorption des savoirs et des références, une alchimie délicate qui produit un récit personnel à la fois ludique et intellectuel.
Au sein de la résidence Casaverde (effectuée à H2/61.26), Jimmy a mis en œuvre un nouveau projet qui se prolongera ensuite. Casa est un objet hybride, entre bande dessinée, story board et roman graphique. Hommage à peine voilé à Caza et Druillet, convoqués dans cette chanson de geste contemporaine qui mêle cosmogonie et épopée de l’humanité.

Jimmy Richer accomplit la gageure de produire, en une cinquantaine de planches, une vision culturelle du hiatus entre nature et culture. Il dessine la transition de l’hominidé à l’humain par le truchement de l’outil et de la géométrie, analogie avec l’urbanisme de Casablanca qui oublie l’écosystème qu’elle occupe. En ces temps de collapse annoncé, Jimmy Richer se joue de notre frêle humanité, passée en quelques millénaires du singe apeuré au statut de promoteur et de l’Anthropocène.