Zouhir IBN EL FAROUK, No Apparatus
One/one expo
Mardi 20 décembre 2018, 19h
« Photographe sans appareil, Ibn El Farouk, réalise des objets visuels qui naissent d’une décomposition savante des couches matérielles qui composent la pellicule argentique.
Nous sommes aujourd’hui inondés d’images en tout genre. Nous les percevons plus que nous les voyons et, parfois, il arrive aussi que nous les regardions.
Cette nuée d’images mobiles et mouvantes a en effet pour conséquence de fragiliser notre attention. Il nous est de facto devenu difficile de nous extraire quelques instants du flux et du mouvement général qui emporte notre réalité et de faire face à ces images, autrefois fixes, qui constituaient des pôles d’attraction et des capteurs d’attention particulièrement puissants.
Ibn El Farouk inscrit les recherches intenses qu’il effectue dans le champ de la photographie et de la production d’images fixes et mobiles, en relation avec cette situation générale de la perception. Mais il fait plus encore. Il opère à cœur ouvert la matérialité des images, produisant ainsi une sorte d’électrochoc mental chez celui qui les découvre et le conduisant à s’arrêter un instant et à s’approprier le questionnement qui lui est proposé.
Il ne faut pas s’y tromper, ce qui nous est donné à voir, ce sont bien des images mais d’un type si singulier qu’en effet il est impossible, face à elles, de ne pas se demander à la fois ce qu’elles peuvent bien représenter, comment elles ont été faites et de quoi elles peuvent bien « parler ».
Phtographe sans appareil, Ibn El Farouk, réalise des objets visuels qui naissent d’une décomposition savante des couches matérielles qui composent la pellicule argentique. Autant dire qu’il nous renvoie à la préhistoire des images photographiques. Et pourtant le résultat visuel est d’une contemporanéité puissante. On peut même dire qu’il parvient à faire, sans passer par l’univers des programmes et des codes qui encadrent la totalité de la production des images électroniques aujourd’hui, ce que chacun peut accomplir avec son téléphone ou son ordinateur, à savoir produire des images sans référent.
Mais ce n’est pas la critique du référent, problématique largement dépassée, qui l’intéresse. C’est la matérialité même du support, l’univers chimique qui précède accueille et rend possible l’apparition de l’image. C’est l’image avant l’image, l’image en tant que processus de transformation d’une matière sous l’effet de la lumière. Et ce que l’on découvre ici, c’est que l’image photographique argentique est rendue possible par l’existence d’une superposition de surfaces chacune ayant ses particularités chimiques et physiques.
Ibn El Farouk en s’emparant de ces couches parvient à extraire une de ces surfaces qu’on appellera la peau de l’image et à montrer qu’elle dispose d’une vie propre qui ne peut s’animer que si et seulement si on empêche qu’ait lieu l’impression sur elle d’un motif et qu’on lui laisse la possibilité, lorsqu’elle est plongée dans le bain de révélateur ou d’eau, de se détacher du fond et de flotter en se couvrant des reflets que la lumière vient faire naître « sur » elle, « en » elle faudrait-il dire.
Alors, et c’est ce que montre cette vidéo, on découvre un être qui pourrait ressembler à un de ces animaux qui ont peuplé les océans à l’époque des commencements de la vie. De plus cela nous raconte un peu de ce qui a pu se passer il y a si longtemps. Cela nous montre en effet que les couleurs peuvent apparaître dans l’univers avant même qu’il y ait des yeux pour les voir.
Ici nous sommes renvoyés à ce qui pouvait exister avant que l’œil ne soit formé. Les images fixes extraites au moyen de ce procédé nous donnent accès à un temps où l’homme n’était même pas encore inscrit, fût-ce comme esquisse, dans le grand livre des pensées de dieu.
Ce voyage transtemporel nous le devons à cette machine à remonter le temps que sont les images d’Ibn El Farouk.
Jean-Louis Poitevin
Zouhir IBN EL FAROUK
Zouhir Ibn Elfarouk est né à Casablanca en 1964, vit et travaille entre Paris et Casablanca.
Après des études de philosophie, il se consacre à la photographie. Diplômé en arts plastique et art contemporain, spécialité Art contemporain et nouveaux médias. Ancien chercheur au sein du laboratoire EA 4010 AIAC, Arts des images et art contemporain de l’Université Paris-8, sous la direction du Professeur François Soulages. Depuis le début des années 2000, son travail à pour champ d’expérimentation la possibilité d’une abstraction paradoxale en photographie. Une analyse de ce que peut être encore aujourd’hui la photographie : questionner son histoire, ses artifices et ses procédés, de même donner à voir le corps et la matière photographique.
Ses premières expositions ont lieu à partir de 1996 au Maroc, en Portugal, en Espagne et en France.